Que dit-on généralement quand on critique la consommation, l’acte de consommer ? En gros les choses suivantes :

  • Consommer, c’est donner notre argent à des firmes qui en font bien ce qu’elles veulent, c’est-à-dire surtout : manquer de payer correctement leurs salarié-es, les épuiser jusqu’à la mort, leur voler la moitié de leur vie en temps de travail, polluer sans vergogne, exproprier et tuer des gens, reproduire les inégalités de toutes sortes, financer les pires régimes, exclure tou-tes celleux qui ne correspondent pas à La Norme, ou les harceler moralement, physiquement, sexuellement… C’est donc indirectement mais concrètement soutenir tout cela (même si largement contre notre gré).
  • Consommer, c’est rendre immédiatement au Capital ce qu’il a daigné nous allouer pour (sur)vivre, ce qui est quand même une belle grosse arnaque.
  • Consommer, et a fortiori en tirer plaisir, c’est participer joyeusement à un système que l’on cautionne plutôt que (ré)apprendre à chasser et cueillir à l’ancienne (je ne suis qu’à moitié ironique, certains courants de l’anarchisme le prônent, qui ont le mérite d’aller au bout des conséquences pratiques de leur analyse de base), chercher à sortir de ce merdier, notamment en instaurant d’autres pratiques que l’achat de produits manufacturés, de services, etc.

C’est un propos qui est intéressant, mais qui cache, un peu comme un cheval de Troie, une dimension éminemment réactionnaire reposant sur une confusion. Et en dernière analyse, on peut se passer de cette critique là, tout en restant dans une critique du système capitaliste qui se trouve alors assainie de cette dimension réactionnaire (dimension qui peut d’ailleurs se trouver à l’état d’incubation, asymptomatique sur le moment, mais qu’on se refile quand même par inadvertance…). Même les quelques solutions rapidement évoquées ci-dessous, qui font partie de l’arsenal des propositions « alternatives » et qui viennent souvent avec la critique de la « société de consommation », peuvent trouver leur place lorsqu’on se passe de cette critique. Elles sont d’ailleurs à ce moment-là remise à leur juste place : des solutions parmi d’autres et non pas la panacée, l’alpha et l’oméga du refus concret du capitalisme (comme on l’entend ou le lit de plus en plus). Mais n’allons pas trop vite.

Clip de « Are you lost in the world like me ?  » sur la société consommation

Quelques dernières précisions de vocabulaire, sur ce que j’entends par analyse et par propagande, pour clarifier encore ce qui me pousse à écrire cet article. J’entends bien que l’analyse d’un système doit être exhaustive pour être bonne, faire le tour de toutes les dimensions du système décrit pour être exacte ; car le propre d’un système, c’est que tous ses éléments soient inter-reliés et dépendants des uns des autres, quand bien même il y aurait des éléments principaux et d’autres plus secondaires. L’analyse critique de la consommation aurait ainsi parfaitement sa place dans un traité de critique de l’économique politique par exemple (type le Capital). Mais elle n’y serait pas isolée, et la question de la consommation arriverait à sa place logique et relative. La propagande, c’est autre chose en revanche. Et j’entends par « propagande » tout ce qui contribue à la diffusion d’une analyse systématique (l’analyse complète d’un système), ou si l’on préfère, de nos idées, tout simplement. Un tract, un film, un article pédagogique, c’est de l’analyse aussi. Il ne s’agit pas de dire que la propagande consiste à mentir aux gens pour qu’ils adhèrent à notre ligne politique, on n’est est pas Staline ni Eisenhower ; mais c’est de l’analyse « tronquée », on choisit un certain angle d’attaque sur un système complexe dont on montre les failles, les injustices, la barbarie, etc. Tout simplement parce qu’on ne peut matériellement pas être exhaustif, un élément de propagande n’a pas vocation à l’être. Pour prendre un exemple caricatural, un slogan est nécessairement simpliste, voire exclusivement poétique. Ce que je commenterai ici, donc, c’est la question de la consommation comme angle d’attaque privilégié, ou pire, comme objet d’analyse se suffisant à lui-même pour aboutir à une critique révolutionnaire du capitalisme.

Qu’est-ce que consommer ?

« En soi », une pratique consommatoire (aller voir avec plaisir tel ou tel blockbuster, acheter cette fringue dont on rêvait), n’a aucune valeur politique, ni positive, ni négative. Du point de vue du sujet, elle est probablement positive (valeur d’usage). Oui mais voilà, l’objet consommé (et donc la pratique de consommation qui va avec) n’existe pas « en soi » (déconnectée et comme pur concept) ; pas plus qu’elle n’existe seulement pour le sujet (la personne et son activité « rien qu’à elle », dans sa bulle) ; elle existe objectivement, dans un système politique donné, et à un moment T de l’histoire. Dans un système capitaliste, cet objet consommé a une valeur d’échange en plus de sa valeur d’usage, et c’est bien pour ça que le capitaliste a produit l’objet qui va être consommé plus tard : pour qu’il fasse de la thune. Évidemment pas pour satisfaire nos besoins par altruisme, ni par pur désir de reconnaissance.

La marchandise, c’est donc comme un truc à deux faces : pile, valeur d’usage, face, valeur d’échange. Et comme ces pièces, les deux faces ne se regardent pas, elles s’ignorent : ce que tu fais avec le truc que tu as acheté une fois que tu l’as acheté, globalement, le capitaliste s’en tape.

Du coup, « consommer », c’est aussi un mot à deux faces, à deux sens ; selon qu’on se place du côté de l’usage ou de l’échange, le mot n’a pas du tout la même signification :

  • Si on est du côté de la valeur d’échange, consommer équivaut en gros à acheter. Consommer = acheter.
  • Si on est du côté de l’usage… Bin là pour le coup, on a autant de sens concrets à « consommer » qu’il n’y a d’usages, c’est-à-dire en d’autres termes de pratiques (1). C’est très révélateur à mon sens, donc je reviendrai sur ce point. Pour l’instant il suffit de retenir qu’il y a deux sens très différents à ce terme.

Conséquences en terme d’analyse et de propagande

La conséquence de cette polysémie irréductible, c’est que lorsqu’on critique la « société de consommation » ou lorsqu’on s’attaque à la figure du « consommateur », eh bien on confond les deux sens. Ce qui fait qu’on s’attaque à la fois à une pratique pour elle-même, et au système politico-économique dans lequel elle s’inscrit, « par le biais » de la critique de cette pratique (consommatoire).

« Mépris de classe » par Duan Hanson

Parce que, lorsque je m’attaque à la face « usage » du mot « consommation », je formule une critique qui n’a pas grand’chose à voir avec le capitalisme en vérité, ou très très indirectement. Je peux très bien imaginer cet « usage » dans un autre système que le capitalisme. Au hasard, je peux très bien imaginer que dans un système économique de type communiste, la production du produit « Star Wars » continue (2).

Et la polysémie de la face « usage » du mot « consommation », elle vient de la dimension apolitique et individuelle de chaque usage pris isolément. On pourrait dire en exagérant un peu qu’il y a autant d’usages que d’individu-es,; et lorsqu’on s’attaque à cette face du mot, on s’attaque aux pratiques des individu-es en tant qu’individu-es et non en tant que groupe, en tant que classe. On s’intéresse à l’individu isolément, déconnecté du monde social et de ses dynamiques propres, lesquelles divisent les populations non pas en une somme d’individus, justement, mais en classes antagonistes (3). À l’inverse, la face « échange » du mot « consommation » n’a pas cette polysémie. Et c’est bien parce qu’elle relève d’un système organisé. Quelle que soit la pratique, l’usage, c’est le même système qui est derrière. Or c’est bien le capitalisme, ce système dans lequel il y a des échanges de marchandise ; ces échanges font précisément partie de ce qui le définit comme capitalisme.

Oui mais on ne peut s’attaquer à la face « échange » du mot sans s’attaquer à sa face “usage”, car c’est un seul et même mot qu’on a là, et à vrai dire, tant qu’on ne change pas de système économique, une seule et même réalité derrière ce mot. Une réalité à deux faces, comme une pièce. Et on ne peut pas détruire une face d’une pièce sans détruire la pièce entière. Bien plus, on utilise généralement la « face usage » pour introduire son propos, parce que c’est plus éloquent et pédagogique ainsi, sur le mode : « tu penses qu’en achetant ton paquet de céréales tu n’achètes que 250g de corn flakes, alors qu’en réalité tu achètes de la sueur et du sang » (en gros).

Mener la critique sous un autre angle : celui de la production

Que faire alors ? Changer de mot, sans doute, et s’attaquer à une autre réalité. Voyons l’échange par exemple, le « Marché » : c’est ce qui met en relation le producteur et le consommateur (c’est un concept, pas quelque chose qui existe concrètement comme tel, mais l’image d’Épinal de la place du marché au village l’illustre assez bien). Ce qui fait que la marchandise est située pour ainsi dire entre deux pôles : elle est produite à l’origine, puis consommée au final. Et au lieu de s’attaquer au pôle consommation, on peut s’attaquer au pôle production. C’est un bien meilleur angle d’attaque selon moi pour fournir une critique radicale du capitalisme, et qui oriente vers un ensemble de perspectives et de pratiques de luttes dont l’histoire est déjà riche : le syndicalisme, le sabotage, la grève, le luddisme, etc. (4)

Or la critique prise sous cet angle n’a pas la dimension réactionnaire des critiques de la consommation. Pourquoi ? Parce que s’il y a bien une contradiction dans l’acte de consommer, elle se situe au niveau de l’individu : c’est vrai que c’est contradictoire de donner de l’argent pour satisfaire des besoins ou des désirs : cet argent, une partie va être réinvestie dans la bonne marche et même l’expansion du système qui m’exploite, m’opprime, et une autre va aller directement dans la poche de ceux qui (en tant que classe) me l’ont donné en échange de mon travail… pour eux ! En même temps, ce besoin il faut bien que je le satisfasse ; ou bien je veux cette chose, pour exprimer mes goûts par exemple, je serais vraiment trop classe avec. Mais cet élément (désir, besoin) est contradictoire avec le premier (car c’est ma propre exploitation qui va me “permettre” de le satisfaire), et cette contradiction se situe bien au niveau de l’individu (mon exploitation au travail me donne mon salaire qui me permet de consommer). Dans l’acte de produire en régime capitaliste par contre, la contradiction n’est pas au sein de l’individu, mais entre des individu-es : sur le lieu de production, au sein de l’entreprise, il y a celles et ceux qui triment, et celles et ceux qui profitent de ce travail. (5) L’opposition est visuellement et géographiquement claire (songeons à la disposition des bureaux, des ateliers, ou à ce que c’est qu’un organigramme d’entreprise par exemple) ; et la dimension collective, de classe, saute aux yeux.

Bien plus en tout cas que si on se lance dans un portrait de l’individu moderne en consommateur. C’est très éloquent, un portrait, et ça permet même éventuellement de se donner un air misanthrope pour peu qu’on rajoute un peu de causticité à son propos, mais ça manque de clarté, et les fascistes s’en accommodent très bien : je concluerai donc cette partie en soulignant que le film Fight Club est une référence largement appréciée de l’extrême-droite pour sa critique de la société de consommation, et qu’il est un incontournable de la culture fasciste contemporaine (6). Ce qui ne fait pas pour autant de vous un fasciste parce que vous aimez ce film, l’affirmer contredirait tout cet article.

Fight Club et sa critique hautement subversive d’Ikea

Plus réacs et moins susceptibles d’être appelés « camarades » que les gens à qui j’adresse cet article, j’ai parfois entendu de la part de réformistes à la française (type Parti de Gauche) des remarques du type : « ces émeutes (dans la banlieue de Londres par exemple) n’ont rien de politique, faut arrêter de fantasmer deux minutes : les mecs la première chose qu’ils font c’est aller voler des écrans plasma dans les magasins désertés. Ces gens veulent juste consommer comme tout le monde, à aucun moment ils ne veulent renverser le système ! » Sauf que justement, si : le principe d’une émeute, c’est de renverser ou au moins suspendre pour une durée indéterminée l’appartenance du lieu de l’émeute au système global, auquel il échappe (la police ou l’armée étant évidemment là pour l’y ramener). Si on repense à la bipartition dont j’ai parlé précédemment, la face « échange » est ici neutralisée parce que le système marchand est court-circuité par le pillage. C’est donc bien de fait un acte de subversion, car cette face échange est, des deux faces de la consommation, celle qui caractérise le capitalisme comme tel, qui en constitue un élément essentiel. Qu’est-ce qui chagrine donc nos réformistes ? Il ne reste que la face « usage » à laquelle s’attaquer, mais c’est la moins immédiatement politique, la plus individuelle, et c’est pourtant cette face-là qu’ils surinvestissent. À partir du constat juste que la propagande bourgeoise passe en grande partie par les chaînes de télévision, on fétichise l’acte de regarder la télé et même le meuble télévision comme étant le symbole par excellence de la manipulation mensongère. C’est peut-être vrai, mais justement c’est surtout un symbole, et les symboles ont leurs (énormes) limites. Surtout lorsqu’on se place dans une perspective critique : ici, notre réformiste réac arrive à dénier à une émeute avec pillage sa portée subversive sous prétexte que des émeutiers ont volé des écrans plasma ET DONC qu’ils ne pensent qu’à regarder la télé C’EST-À-DIRE la propagande bourgeoise (sans aucun distance critique bien sûr, y compris – on y croit tou-tes,- lorsque la-dite propagande bourgeoise les croquera en horribles anarchistes assoiffés de sang, en hordes de casseurs, etc.), C’EST-À-DIRE qu’ils sont aliénés ou a minima qu’ils n’ont aucun projet politique. Parce qu’évidemment améliorer ses conditions quotidiennes d’existence, déjà dans un premier temps, ça n’a rien de politique. Oh mais la télé, ce n’est pas une bonne manière d’améliorer ses conditions d’existence, ce sont des livres qu’ils auraient du prendre, des disques de musique classique sans doute, ou juste à manger. Or c’est ici que vient se loger tout le mépris foncier, ce que certain-es appellent “banlieuphobie”, et qui est maintenant libre de s’exprimer à loisir parce qu’on est bien certain d’être « du bon côté », et que nous on est bien politisé, progressiste, et qu’on ne formule, finalement qu’une « critique de la société de consommation » : du mépris de classe qui s’invite par la fenêtre au cœur d’une “critique du capitalisme”, oui, bien plutôt, qui est toujours resté dans les coulisses d’une “critique de la société de consommation”. Pour les plus paternalistes, on parlera même avec une infinie condescendance d’ “aliénation”, c’est-à-dire un concept sous-défini, périlleux, et qui est le plus souvent utilisé par la gauche pour justifier son échec politique (en gros : il n’y a pas de révolution / de changement de société parce que les gens sont aliénés).

« les gens c’est des moutons » Banksy

Par cet exemple développé, je ne suis pas en train de faire l’éloge de la télévision en une sorte de contrepied : je n’ai pas de télévision, j’ai moi-même des goûts assez tranchés et les pratiques qui vont avec, simplement je n’en fais pas un étendard politique, tout simplement parce qu’elles ne portent rien de subversif en elles-mêmes. Ni de réactionnaire d’ailleurs. Ce ne sont que des usages, finalement indifférents au système économique qui nous leur donne accès. Et à tout prendre, dans toutes les dimensions de notre vie nous reflétons les contradictions du système économique dans lequel nous vivons. Nous tirons nos plaisirs de pratiques qui s’inscrivent dans un système qui nous opprime, mais cette “perversion” est à mettre sur le compte du système lui-même, pas de nos pratiques ni encore moins sur notre compte à nous individuellement. Nous nous soignons pour nous-mêmes mais aussi pour pouvoir retourner travailler, et même l’hôpital public gratuit peut être analysé comme une stratégie du Capital pour organiser plus rationnellement la reproduction de la force de travail (et le démantèlement de l’hôpital public en france intervient précisément à une époque de chômage structurel de masse où la main-d’œuvre est surrabondante, donc remplaçable, donc on s’en branle que les gens soient en bonne santé, plein d’autres attendent pour bosser à leur place).

Sauf qu’au bout d’un moment, le projet politique porté par ce type de critique ressemble à un horrible ascétisme ennuyeux à crever. Un projet où on s’interdit de faire telle ou telle chose (7), et au final un max de choses, parce qu’on fait à tort de l’acte de consommer le centre autour duquel tout le système gravite, alors qu’il est périphérique : c’est un peu comme dire que le soleil tourne autour de la terre. Et ça ressemble beaucoup à la critique écologiste du « superflu » qui détruit la planète… D’ailleurs concernant la critique de la consommation d’un point de vue écologiste, je vous renvoie à ce très bon spot vidéo :



Or que des pauvres fassent « de nécessité vertu » et trouvent dans le peu de marge de manœuvre budgétaire qu’ils ont, un moyen de boycotter tel ou tel truc dans le cadre d’une action collective de boycott (8), très bien. Mais il s’agit alors d’un moyen d’action et non d’une fin en soi, ce qui est très différent. La critique de la consommation, en revanche, tend à confondre moyen et fin, parce qu’elle repose elle-même sur une confusion fondamentale.

Enfin, si j’ai pris l’axe anticapitaliste comme fil conducteur de mon analyse, cette dernière pourrait complètement s’enrichir d’une perspective féministe (la figure par excellence du consommateur méprisé, de la cible aliénée de la publicité, c’est la fameuse “ménagère de plus de 40 ans”, évidemment parce que 80% du travail domestique reste effectué par les femmes, travail qui inclue le fait d’aller faire les courses pour le ménage), queer (le stigmate qui entours le souci de son look, la “vanité” des paillettes, des belles sapes, des strass, volontiers réapproprié et retourné par les luttes LGBTQI+), antiraciste (qu’on pense à la figure de “l’Africain qui se contente de peu” et son exotisation délirante, ou encore une fois au survêtement trop cher pour un Noir ou un Arabe qui endossent volontiers en france le rôle du “mauvais pauvre” et des classes dangereuses), ou même antivalidiste. Si ce texte pouvait inspirer d’autres articles avec ces perspectives pour “axe principal” ce serait génial.

Redonner une place centrale à la question de l’affrontement avec la bourgeoisie

S’attaquer à la consommation d’un point de vue critique, c’est risquer de se diriger “naturellement” vers une analyse moraliste (c’est-à-dire dénuée de toute considération stratégique) et de lancer ensuite des anathèmes très mal reçus (et à raison) par des gens qui perçoivent aussi le plaisir évident (ou tout simplement l’usage positif) qu’ils tirent de leur pratique « à la con ». Bref, en terme de propagande (diffusion de nos idées), c’est plutôt catastrophique.

Mais c’est aussi se placer, en termes de perspectives d’actions, bien en deçà de ce qu’il est possible de faire : dans un système capitaliste, la marge de manœuvre du capitaliste (propriétaire des moyens de productions) est infiniment supérieure à celle du simple consommateur, dont la « liberté de choix » en tant que consommateur est bien faible. S’en prendre prioritairement au consommateur, c’est tentant parce qu’on le côtoie directement, on en est un également, là où les bourgeois en réalité sont très inaccessibles (9) ; et aussi parce que c’est se donner l’impression d’une possibilité de subversion « à portée de main » qui permet d’esquiver bon nombre des difficultés de l’organisation collective (de type syndicale par exemple). Mais c’est pourtant bien à la bourgeoisie que l’on veut s’attaquer lorsqu’on entend diffuser nos idées. Or, formuler une critique dont elle n’est pas au centre risque bien plutôt de détourner d’elle les personnes touchées par notre propos (10), plutôt que de les amener à s’attaquer à la bourgeoisie en tant que classe. Et de fait, la critique de la consommation n’est pas l’apanage de l’anticapitalisme, elle est tout autant un outil du fascisme ou du citoyennisme.

Notes :

(1) et méfiez-vous si croyez que vos pratiques échappent aux lois du marché et au capitalisme, le Capital est aussi cette formidable machine à récupérer et monnayer toute pratique qui semble de prime abord sortir du système qu’il établit, ou même le critiquer.

(2) Rétorquer que ce ne sera sans doute plus « star wars », parce que le contenu des produits culturels est conditionné par le système politico-économique dans lesquels ils sont produits, et que « star wars » appartient au monde capitaliste ne constitue pas vraiment une contre-argumentation à mon sens. Sans doute Star Wars (c’est juste un exemple) changera, tout comme il a changé entre les références très « années 80 » au nazisme à travers le costume des officiers impériaux, et les propos de Bush Jr tenus par Anakin Skywalker dans l’épisode III, 30 ans plus tard. Les productions culturelles changent déjà considérablement sans changement structurel de la société, c’est même là leur destin « naturel ». Au risque d’étonner, et sans ignorer l’importante littérature sur le sujet qui est à mon sens davantage le signe d’un « effet de loupe » qui biaise le regard des analystes (lesquels appartiennent généralement eux-mêmes au secteur économique dit « culturel » au sens large), le problème du rapport, disons, entre les productions culturelles ou même l’art et la révolution ne constituent pas une question politique pertinente à mon sens.
Du moins pas davantage que la question du rapport entre la production d’épingle et la révolution. Quel rôle jouent les épingles dans le processus révolutionnaire exactement ? L’usage des épingles disparaîtra-t-il avec la révolution ? Changera-t-il ? Comment ? Bof. Quant à la question des représentations du monde social, ou de « l’idéologie », il se réduit pour moi d’un point de vue pratique à celui de l’analyse critique et de la propagande, qui sont déjà des questions suffisamment riches et complexes comme ça.

(3) Je ne m’intéresse ici qu’au rapport économique pris relativement abstraitement, d’où l’absence de considérations en termes de races ou de genre, qui auraient alourdi mon propos. Ce texte ne se veut pas exhaustif, mais entend juste aborder une question précise de façon simplifiée. Il perd nécessairement en force critique et en     pertinence, mais il me semble que c’est le prix de la pédagogie (sur ce sujet précis en tous cas).

(4) Alors que les perspectives pratiques du côté consommation sont moins nombreuses et plus individuelles : le vol, le squat (qui a certes le plus souvent une dimension collective indéniable), la destruction de produits, la perturbation d’événements (idem). Ce n’est pas pour les dénigrer ni dire qu’elles sont inutiles, mais moins décisive, à mon sens oui, sans doute.

(5) Dans l’entreprise moderne, il y a également la classe tampon, la petite-bourgeoisie besogneuse des cadres sup’ gestionnaires de la bonne marche de l’entreprise, du pressurage optimal du prolétariat. Lesquels d’ailleurs sont souvent propriétaires d’un porte-feuille d’actions fourni, donc de parts importantes du capital. On pourrait certes affiner à loisir le recensement des différentes configurations concrètes d’exploitation, de l’organigramme social général, mais globalement c’est toujours le même fonctionnement fondamental.

(6) On peut également penser, dans le contexte français, au dessinateur Marsault et à sa figure très subtile de l’avachi-e-devant-sa-télé, bouffi-e-qui-mange-trop-et-se-laisse-aller, et bien sûr, imbécile car aliéné-e.

(7) Je ne dis pas que ce qui se passe à la maison relève automatiquement de la pratique individuelle, ni que toute pratique inter-individuelle relève automatiquement de considérations apolitiques et morales. Comme les féministes le soulignent depuis     longtemps maintenant, « le privé est politique », et « privé » et « individuel » sont deux     choses différentes. Toutefois je me limite ici à la sphère productive, les questions de genre relevant plus fondamentalement de la sphère « reproductive » (reproduction quotidienne et générationnelle de la force de travail).

(7bis) : 2 précisions sur ce spot vidéo : 1. il a été réalisé par les très réactionnaires Deep Green Resistance. Un bon article sur cette organisation : http://ecologielibertaire.blog.lemonde.fr/2019/01/24/deep-green-resistance-des-reactionnaires-sinfiltrant-dans-le-mouvement-ecologiste-francais/ 2. Un élément important que la vidéo, malgré ses qualités, ne précise pas concerne le mode de répartition sous le capitalisme. En effet, l’industrie ne fournit pas nos besoins individuels (ni ceux des ménages), mais fournit un marché, ce qui est un mode de répartition des ressources extrêmement défectueux : on estime ainsi que 40% des produits alimentaires “destinés à la consommation” sont gaspillés. Dans les “pays riches”, où le gaspillage est sensé intervenir davantage “en bout de chaîne” (le gaspillage en bout de chaîne représente 40% environ du gaspillage global dans ces régions), le gaspillage par les ménages (aliments jetés) ne concerne que 30% de ce gaspillage “en bout de chaîne” (comprendre : après la transformation alimentaire et la mise sur le marché ; les chiffres donnés ici valent pour la France) : 30% de 40%, soit environ 13% du gaspillage global dans les pays riches est le fait des consommateurs (alors que c’est dans les pays riches que les consommateurs gâchent le plus de bouffe). Tout le reste est le fait de l’industrie de transformation alimentaire (donc sans compter le fait que cette dernière a déjà acheté ses matières premières agricoles… sur le marché des denrées agricoles, c’est-à-dire sans compter que 60% du gaspillage global de ces régions a déjà eu lieu), et de la distribution (restaurants, supermarchés, épiceries, etc). Le gaspillage “consommatoire” est donc une portion congrue du gâchis global. C’est qu’il n’y a aucune coïncidence entre les besoins et leur satisfaction sous le capitalisme ; pour rester la bouffe, l’industrie agro-alimentaire est en crise de surproduction perpétuelle alors même que la famine touche tel ou tel continent, telle ou telle région dans sa quasi-entièreté. Du coup les pauvres de ces régions ne mangent pas à leur faim, dans le même temps où les pauvres des centres historiques d’accumulation du capital (les-dits « pays riches ») souffrent d’obésité parce que leur budget les oblige à acheter de la merde, merde dans laquelle sont écoulés “artificiellement” les stocks de sel et de sucre surproduits par exemple. Par ailleurs, toutes les crises économiques depuis 30 ans sont des crises de surproduction. Bref la coïncidence des besoins et de leur satisfaction par le marché est un mythe (mythe de la main invisible), et les famines n’ont pas lieu à cause d’un défaut de production (on produit largement assez pour nourrir l’ensemble de la population mondiale, et en fait on produit même bien trop), qu’à cause d’un défaut de répartition. C’est également ce qui fait que parmi les zones les plus pauvres du monde figurent des quartiers des villes les plus riches du monde : et ces pauvres là, captifs du mode de production capitaliste qui en fait des consommateurs parce qu’il en fait des travailleurs (dur de chasser le bison quand à la place du champ où il vaquait autrefois il y a l’usine ou le mall où tu dois pointer pour garder ton toît), mangent sans doute des aliments merdiques dont une partie des matières premières aura fait des milliers de kilomètres.

(8) En effet le boycott n’est efficace que s’il consiste en une action collective soutenue, un individu ou même une famille ne consistant (dans l’écrasante majorité des cas) même pas une part de marché, autant dire que les entreprises s’en foutent complètement.

(9) Même si les bourgeois sont aussi des consommateurs, globalement ils baignent dans un cocon, entourés par un marché de niche qui ne s’adresse qu’à eux et a des velléités d’expansion bien moindres – l’Oréal ou Chanel ne sont devenus des multinationales qu’après avoir décidé de s’adresser aussi au consommateur lambda -.

(10) Et encore une fois pour enfoncer le clou : c’est bien à ça que vise tout acte de propagande : toucher d’autres gens.

Article de LMJ

7 Replies to “Pourquoi la critique de la consommation est tendanciellement réactionnaire”

  1. Salut ! J’ai trouvé ton article intéressant et il soulève des questions que je me pose souvent. Je suis d’accord avec toi sur une grande partie de ta démonstration : confusion dans l’accusation du consommateur, solution uniquement individuelle vouées à l’échec et cette saleté de culpabilité que l’on fait peser sur les individus avec le moins de marge de manœuvre dans notre société… Mais en regardant la vidéo « shorter shower » je me suis rendu compte de mes désacords avec ta démonstration : je trouve absurde l’idée que si un jour, un groupe de personnes (monde entier, pays ou simplement salariés d’une boite peu importe) arriverait a se debarasser de l’élite qui les opprime et spoile le fruit de leur travail, on arriverait alors a trouver des solutions environnementales (pour l’exemple de l’environnement). Pour moi il est aussi absurde de chercher la solution a un problème seulement dans l’abolition des rapports de force ou bien seulement dans des actions individuelles (ici la consommation). A mon avis il est necessaire (et complémentaire) de develloper les 2 approches ! Si l’on prends comme exemple la gestion des déchets : imaginons l’abolition du modèle capitaliste (si dieu le veut), il faudra tout de même effectuer un travail individuel pour éviter la surproduction qui mènerait à plus de déchets, le gaspillage, la polution… pour moi tous ces problèmes ne sont pas uniquement liés au rapports de force entre les humains (même si bien sûr le capitalisme, qui touche aussi le rapport des humains avec leur environnement est au centre de ces problématiques). Ces problèmes dans mon exemple sont aussi lié à la manière de vivre individuellement. D’ailleurs pour revenir à la video « shorter shower », je trouve un argument non valable : lorsqu’il parle de la balence ridicule entre les effet des ménages et celui de l’industrie/agriculture sur l’eau ou les déchets. De mon point de vue cet argument est irrecevable car l’industrie et l’agriculture sont des activités qui fournissent nos biens de consommation. Ces activités et leur impact sur l’environnement (sans parler de l’impact social ect…) sont donc impactés par la consommation des individus. Et ces derniers peuvent avoir un pouvoir sur leur consommation (quand ils en ont déja la possibilité bien entendu). Voila désolé pour le pavé c’est un sujet qui me pose beaucoup de questions, je serais intéressé de connaitre ton point de vue. Merci pour l’article !

    PS : Un autre truc qui me chiffonne avec cette vidéo c’est qu’il dit a un moment en gros « nous allons tous mourir si nous continuons dans ce rapport avec notre environnement ». Je ne suis pas devin mais j’ai confiance dans les plus riches pour marcher sur la têtes des pauvres afin de se maintenir en vie (voir avec le même confort)… Je pense que les plus impactés par tous ces changements seront les plus pauvres et les plus faibles comme c’est déja le cas maintenant… c’est pourquoi l’abolition des rapport de domination et d’exploitation est une condition essentielle pour moi.

    1. Salut et tout d’abord merci pour ces remarques !
      J’espère ne rien oublier, mais :

      1. Je ne pense pas que les deux soient complémentaires, je pense que ceux qui font l’un ne font pas l’autre et vice versa. Solutions individuelles et collectives sont théoriquement complémentaires si on veut, mais en pratique elles ne le sont pas, et « par essence » les « solutions individuelles » charrient une perspective moraliste. Après il ne s’agit pas de faire l’inverse non plus, càd de reprocher aux gens de pisser sous la douche ; simplement ce n’est pas une solution écologique ni politique. En ce qui concerne les comportements individuels, une solution politique pourrait être de réfléchir collectivement sur les modes de production futurs étant donné l’état des connaissances sur les écosystèmes et les ressources disponibles par exemple (je pense par exemple à la fameuse « collapsologie »), réfléchir à la manière dont ça impactera nos modes de consommation, et proposer des formations collectives, des « mises en situation » par exemple. Exemple, s’il s’avère que les villes n’existeront plus sous cette forme après une révolution, proposer des formations collectives à l’autonomie alimentaire ou même tout simplement au jardinage peut être intéressant dans une perspective écologique même révolutionnaire. Du jardinage participatif, n’importe quelle association citoyenniste de classe moyenne supérieure peut le proposer, mais la démarche n’est pas la même car la perspective n’est pas la même. Sur ce point, je citerai simplement Bobby Seale qui répondait aux reproches de « réformisme » lorsque le Black Panther Party mettait en place du soutien scolaire, des formations juridiques ou des petits déjeuners gratuits : « Un programme révolutionnaire, c’est un programme mis en place par des révolutionnaires en vue de remplacer le système exploiteur par un meilleur système. Le système réformateur émane du pouvoir en place et tend à apaiser le peuple. »
      À l’inverse, les différences entre se discipliner soi-même pour réduire ses besoin ou accéder à une autonomie alimentaire permacultrice machin-chouette, il y en a 2 : la première, c’est que rien n’indique que ces pratiques individuelles puissent subsister telle quelle après une révolution écologiste : je ne sais pas, est-ce qu’il y aura assez de place pour que tout le monde cultive son carré de campagne ? L’autonomie alimentaire individuelle éco-durable machin chouette telle qu’elle existe aujourd’hui, rien n’indique qu’elle ne sera pas anti-écologique et contre-révolutionnaire si tout le monde s’y colle. Donc le problème est bien collectif de part en part. L’autre différence est semblable à celle entre l’injonction à « déconstruire ses comportements individuels » tels qu’on les trouve sur twitter ou sur le « queerbook » et une formation collective. L’injonction à se déconstruire soi-même reproduit les inégalités d’accès au savoir (et d’ailleurs google n’est pas du tout notre ami), assure l’intimité d’une autocritique de chambre dans laquelle on ne se confronte que peu avec sa propre toxicité finalement, ne donne aucun retour, aucune maîtrise, aucun aperçu des résultats potentiels, et permet surtout de se débarrasser du problème (les comportements toxiques) à peu de frais, sans jamais le résoudre. Une formation collective dans le cadre d’une organisation dédiée donne des repères, permet un certain suivi de la formation (c’est pas pôle emploi non plus hein), de modifier ou de faire évoluer cette formation, et de faire reposer une responsabilité collective sur une organisation identifiée si jamais les problèmes perdures : l’une (déconstruction individuelle des comportements) est moraliste l’autre (formation collective) est politique. Mais les deux concernent bien les comportements individuels.

      2. Ta critique de la vidéo sur les douches courtes est bien vue, parce que je pense que c’est un point qui est insuffisamment développé y compris dans mon article, et qui mériterait sans doute un rajout. Je vais te citer : tu écris « D’ailleurs pour revenir à la video « shorter shower », je trouve un argument non valable : lorsqu’il parle de la balence ridicule entre les effet des ménages et celui de l’industrie/agriculture sur l’eau ou les déchets. De mon point de vue cet argument est irrecevable car l’industrie et l’agriculture sont des activités qui fournissent nos biens de consommation. Ces activités et leur impact sur l’environnement (sans parler de l’impact social ect…) sont donc impactés par la consommation des individus. »
      En fait l’industrie ne fournit pas nos besoin individuels : l’industrie fournit un marché, ce qui est un mode de répartition des ressources extrêmement défectueux. Il n’y a aucune coïncidence entre les besoins et leur satisfaction sous le capitalisme; pour ne parler que de la bouffe, l’industrie agro-alimentaire est en crise de surproduction perpétuelle en même temps que la famine touche tel ou tel continent dans sa quasi-entièreté. Du coup les pauvres de ses régions ne mangent pas à leur faim, dans le même temps où les pauvres des centres historiques d’accumulation du capital (les-dits « pays riches ») souffrent d’obésité parce que leur budget les oblige à acheter de la merde, merde dans laquelle sont écoulés « artificiellement » les stocks de sel et de sucre surproduits par exemple. Par ailleurs, toutes les crises économiques depuis 30 ans sont des crises de surproduction. Bref je suis en train de chiner dans le Capital un passage qui parle de ça mais je ne le trouve plus, c’est dommage, mais tu vois l’idée : la coïncidence des besoins et de leur satisfaction par le marché est un mythe (mythe de la main invisible), et les famines n’ont pas lieu à cause d’un défaut de production (on produit largement assez pour nourrir l’ensemble de la population mondiale, et en fait on produit même bien trop), qu’à cause d’un défaut de répartition.

      3. Il ne faut vraiment pas surestimer la bourgeoisie (ou la classe dominante si tu préfères). Ces gens sont bêtes et incultes, ils sous-traitent la gestion de leur propre bien-être aux classes d’encadrement (en échange d’une partie de la plus-value). Et cette bêtise apparaît très clairement dans la période actuelle : les risques écologiques posés par leur activité mettent en danger notre écosystème et nous-mêmes en tant qu’espèce (je pense par exemple au « scénario planète-étuve », ou au réveil de virus préhistoriques à cause du dégel du pergélisol, tu peux chercher sur un moteur de recherche quelconque tu verras, par contre c’est archi-déprimant). On peut imaginer qu’à court terme il puissent être mieux lotis, exerçant une violence inouï sur le reste de la population. Mais même ça ce n’est pas certain : la droite aime bien parler des « assistés par l’État » à propos des-dits « bénéficiaires » du RSA ; mais ceux qui ont réellement besoin de l’État (les vrais assistés quoi ^^), notamment de ses fonctions régaliennes (la police, la justice, l’armée), c’est la bourgeoisie. Et ces fonctions de l’État coûtent un pognon de dingue ! (pour reprendre une expression devenue célèbre ^^) ; ce sont des fonctions complexes, qui demandent une énergie folle et dépendent très fortement d’un réseau marchand dense et efficace, lequel est aujourd’hui d’autant plus fragile que complexe. Sur ces questions, je renvoie au très instructif (quoiqu’assez cher malheureusement) bouquin de Servigne et Stevens, « comment tout peut s’effondrer ». Ils disent bien que le meilleur scénario (le moins « catastrophique » pour tout le monde) face à un effondrement brutal de la civilisation pour des raisons écologiques, c’est celui où les gens sont solidaires : c’est seulement comme ça qu’on maximise les chances individuelles de survie. En bref on retrouve la vieille formule de Marx : en période de crise finale du capitalisme, c’est socialisme ou barbarie…

  2. Effectivement, la critique de la consommation est réactionnaire, mais ce n’est pas pour des questions de mots (biais intellectualiste), mais simplement parce qu’elle est née au début de la consommation de masse (voir par exemple http://www.exergue.com/h/2016-07/tt/ortega-y-gasset.html et autres), par des intellos (forcément une rare élite à l’époque donc) qui étaient influencés par les discours élitistes ou cathos (fondés alors sur l’idéal monastique). Ce n’est plus le problème aujourd’hui (même pour l’ancien tiers-monde où la diffusion de masse est en cours).

    Par contre, la solution ne peut pas venir du discours marxiste qui était simplement issu d’une époque encore antérieure, et qui s’est maintenu presque inchangé (et c’est une explication des catastrophes qu’il a objectivement produit) et qui trouve souvent (presque toujours en fait) sa légitimité par une prétention imbécile à un retour à l’origine (rengaine sur le modèle réactionnaire d’ailleurs). Ce qui relève plutôt d’une cléricature que d’une pensée objective (l’excuse est qu’il est difficile de trier dans l’accumulation de textes inutiles, un peu comme sur Internet aujourd’hui).

    1. Le procès en cléricature envers le marxisme ou les marxistes est sans doute davantage un produit du temps présent que « le marxisme » un produit de l’époque de Marx, s’il est vrai que lui-même n’était « pas marxiste » et qu’il y a bien plutôt existé « des marxismes », théories et pratiques confondues. Reste que c’est Marx et Engels qui ont proposé une solution viable à l’aporie de la « pensée du temps », qui serait enfermée dans son époque et donc nécessairement « inadéquate ». Quant à ce que « le marxisme a objectivement produit », c’est bien la peine de parler de biais intellectualiste au début de votre commentaire pour conclure par le pouvoir objectifs des corpus théoriques. À moins que vous ne pensiez avec Marx que « la théorie, quand elle s’empare des masses, devient elle-même puissance matérielle » ? Mais à vrai dire, en relisant votre commentaire, vous avez beau jeu de parler de biais intellectualiste pour finalement disserter sur le pouvoir des discours. Aussi bien c’est ce que nous nous sommes proposés (parler du pouvoir des discours), mais dans une optique pratique, ce qu’on a longtemps appelé et qu’on appelle toujours « propagande », soit diffusion des idées (ce que les professeurs appellent pédagogie, ce que les scientifiques appelle vulgarisation, la différence étant que dans leur perspective il s’agit moins de transformer radicalement une société que d’exercer leur métier).
      Bref, que la critique de la consommation soit élitiste, ou qu’elle ait pour racine le moralisme catholique (et l’ascétisme luthérien alors ?), voilà des évidences qui auraient alourdi l’article. Sinon, puisqu’on reste dans le capitalisme malgré ses restructurations successives, c’est encore les analyses de Marx (éventuellement mises à jour, mais pas pour des choses aussi fondamentales que ce dont traite cet article) qui restent les plus utiles.

  3. Bonjour,
    Dans la vidéo Shorter showers, je trouve hyper-bizarre l’argument de la comparaison « 10% seulement de la pollution est du fait des ménages, et 90% est du fait de l’industrie/agriculture industrielle » + propos similaire sur l’eau : « 10% seulement de la consommation d’eau est du fait des ménages, et 90% est du fait de l’industrie/agriculture industrielle »… Du coup modifier les comportements individuels ne sert à rien, ça pèse pour que dalle dans le problème.
    En fait je ne trouve pas ça hyper-bizarre de présenter les choses de cette façon, je trouve ça complètement fou fou fou. Ce que veux dire : ces activités humaines, l’industrie et l’agriculture industrielle, fonctionnent pour fournir/nourrir qui ? Les ménages humains. Pas les animaux ou je ne sais qui habitant sur une autre planète. Du coup je ne comprends pas l’argument « 10% vs 90%, c’est pas nous qu’on est les méchants ! ». Il m’énerve même grandement. En fait il me laisse statufiée. Je ne comprends pas qu’on sépare les effets des ménages et les effets de l’industrie, quand l’industrie produit ce qu’elle produit à l’attention… des ménages.
    Quand je mange un yaourt Dan’truc dont les ingrédients ont fait 8000km au total pour arriver sur la table de ma cuisine, moi certes je ne mets à la poubelle qu’un pot en plastique (mais bon moi ça déjà ça me rend dingue), mais je suis indirectement aux … litres d’eau qu’il aura fallu pour produire le lait, les tourteaux de soja qu’on a fait venir du Brésil pour nourrir les vaches, les km pour amener les bout de fruits séchés de je ne sais quelle usine de jus de fruits à l’autre bout de l’Europe, etc.
    Ca ne ne voit pas dans le « petit pot de plastique » qui se trouve dans ma poubelle (et c’est d’ailleurs bien là le problème), et pourtant mon achat a participé à tout ça.
    C’est limite de la mauvaise foi de refuser de faire le lien.
    Hauts les coeurs.

    1. Salut et merci pour ton commentaire ! C’est sans doute insuffisamment expliqué dans l’article comme dans la vidéo, et ça mériterait un rajout du coup, mais en fait l’industrie ne fournit pas nos besoins individuels (ni ceux des ménages) : l’industrie fournit un marché, ce qui est un mode de répartition des ressources extrêmement défectueux. Il n’y a aucune coïncidence entre les besoins et leur satisfaction sous le capitalisme ; pour ne parler que de la bouffe, l’industrie agro-alimentaire est en crise de surproduction perpétuelle en même temps que la famine touche tel ou tel continent dans sa quasi-entièreté. Du coup les pauvres de ces régions ne mangent pas à leur faim, dans le même temps où les pauvres des centres historiques d’accumulation du capital (les-dits « pays riches ») souffrent d’obésité parce que leur budget les oblige à acheter de la merde, merde dans laquelle sont écoulés « artificiellement » les stocks de sel et de sucre surproduits par exemple. Par ailleurs, toutes les crises économiques depuis 30 ans sont des crises de surproduction. Bref la coïncidence des besoins et de leur satisfaction par le marché est un mythe (mythe de la main invisible), et les famines n’ont pas lieu à cause d’un défaut de production (on produit largement assez pour nourrir l’ensemble de la population mondiale, et en fait on produit même bien trop), qu’à cause d’un défaut de répartition. C’est également ce qui fait que parmi les zones les plus pauvres du monde figurent des quartiers des villes les plus riches du monde : et ces pauvres là, captifs du mode de production capitaliste qui en fait des consommateurs parce qu’il en fait des travailleurs (dur de chasser le bison quand à la place du champ où il vaquait autrefois il y a l’usine ou le mall où tu dois pointer pour garder ton toît), mangent sans doute les yaourts Dan’trucs dont tel ou tel ingrédient aura effectivement fait v’là les kilomètres. Et la suite c’est l’article en gros…

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