Article proposé par Alexia Voisin (pseudo)
TW : viol, culture du viol.

«Je ne suis pas la victime idéale »

Il y a cinq ans, j’ai été violée. Je précise immédiatement que mon témoignage ne concerne que moi : il y a autant de façons de vivre un viol qu’il y a de victimes.
Je donnerai uniquement les détails nécessaires à la compréhension du caractère spécifique qu’a pris pour moi la culture du viol suite à ce traumatisme.
Je ne suis pas la victime « idéale ». De toute façon, dans notre société, il n’y en a pas, sauf si on a été violé.e dans la rue par un inconnu avec un couteau sous la gorge.

Mon violeur, c’était mon copain. J’étais consentante pour un rapport ; il n’y a pas eu de violence physique. « Simplement » de la manipulation psychologique qui m’a fait céder à certaines pratiques pour lesquelles je n’étais pas consentante.


« nos petites histoires »

Je n’ai pas réalisé tout de suite qu’il s’agissait d’un viol. En fait j’ai mis un an et demi à réaliser grâce à cet article. Mais le viol a eu des conséquences terribles sur ma vie entretemps, que je juge inutile de détailler ici.
Quand j’ai réalisé, j’ai cherché de l’aide. D’abord à l’infirmerie de la fac, où une infirmière m’a dit
1) que ce n’était pas un viol
2) que c’était « difficile pour un homme de se retenir ».
En gros les hommes seraient des êtres assoiffés de sexe incapables de se contrôler – un des mythes les plus prégnants de la culture du viol.

Puis en appelant les urgences dans un moment de crise. Je n’ai aucun souvenir de ce qu’on m’a dit, si ce n’est que ça ne m’a pas aidé.
J’ai fini par en parler à mes parents. Mon père m’a dit « si tu avais été violée, nous serions dévasté.es, mais ce n’est pas le cas ; c’est un viol subjectif ».

J’ai aussi participé à une réunion non-mixte à la fac où nous avons abordé l’article précité. J’ai dit quel déclic il avait été pour moi et, s’il y a eu beaucoup de bienveillance, il y a aussi eu une remarque type «  on n’est pas là pour se raconter nos petites histoires mais pour faire de la théorie », donc juste pour rappel : nos « petites histoires » sont politiques – et à chaque fois que vous voulez les silencer, peu importe le prétexte, vous faites le jeu du patriarcat.


« une part de responsabilité »

C’en est suivi une longue période de déni jusqu’à ce que, récemment, les choses remontent à la surface.
J’ai donc parlé à ma nouvelle psy qui m’a enfin reconnue comme victime. Je précise qu’elle était la première à le faire, le précédent n’avait répondu à mes propos que par des silences.
Puis à mon père, qui m’a dit que puisque ce qui m’était arrivé ne rentrait pas dans la définition juridique du viol, ce n’était pas un viol.
Puis à des amies « féministes », qui m’ont dit que ce n’était pas un viol (oui, encore).

Est-il utile de préciser que c’est à devenir folle de se voir nier ainsi ? Est-il utile de préciser à quel point ça redouble le traumatisme que de se sentir absolument seule, pas crue, sans soutien ?
Une de ces amies a eu la gentillesse de préciser que j’avais « une part de responsabilité ». Mais attention, a-t-elle ajouté, ça ne veut pas dire que c’est de ma faute. Hum, perso je ne comprends pas trop le sens du propos. Et c’est évidemment la bonne vieille culpabilisation des victimes.

Que c’était « le genre d’agressions les plus faciles à éviter ». Ben oui, tellement facile de dire non quand tu as grandi dans une société où on ne te l’apprend pas, tellement facile de dire non quand tu es tétanisée parce que le mec a déjà commencé son affaire, tellement facile…
Elle m’a aussi dit de ne pas « m’enfermer dans le rôle de victime ». C’est-à-dire ? Je n’ai pas le droit de vouloir être reconnue comme telle ? Et si pendant un temps je n’arrive pas à me voir autrement que comme une victime, où est le problème, tant que ce n’est pas de l’extérieur qu’on m’impose ce rôle ? Moi mon combat c’est qu’on me croie, pas de « ne pas m’enfermer ».


« CROYEZ-NOUS » 

Enfin, elle a sous-entendu qu’après tout, ce viol – elle n’a bien sûr pas employé ce mot – n’avait pas eu de conséquences dramatiques sur ma vie (elle était au courant de ce que j’avais vécu à sa suite).
Une autre amie, qui aurait dû savoir que c’était un sujet douloureux pour moi, a remis devant moi en question la parole de victimes de viol. Du coup, un petit rappel nécessaire : quand quelqu’un.e vous parle d’un viol/d’une agression sexuelle, croyez-le/la. Vu tout ce à quoi on s’expose quand on parle d’un viol (je crois avoir assez détaillé la question), on n’a vraiment pas intérêt à en inventer.

Je pense que c’est le point essentiel de mon témoignage. Et ici je m’adresse surtout aux militant.es. CROYEZ-NOUS. La société ne le fera pas, notre vécu sera nié à 99%. CROYEZ-NOUS, c’est une simple question de vie ou de mort. Ne nous torturez pas de doutes. Ne nous torturez pas de solitude. Ne nous tuez pas à petit feu. Le viol l’a déjà fait, et continue à le faire.

« L’entourage est complice »

En France, 83 000 femmes sont victimes de viols ou de tentatives de viols par an, soit 227 par jour(1).

Dans 83 % des cas, elles connaissaient leur agresseur. L’entourage est complice.

Seules 11 % des victimes portent plainte. Dans le cas d’un viol conjugal, ce chiffre passe à 2 %.

Dans 93 % des cas, ces plaintes sont classées sans suite(2). 3 % finissent devant une cour d’assises(3). Une étude réalisée sur des policiers suédois montrait que 74 % d’entre eux pensent que l’état psychique d’une victime nuit à la crédibilité de son témoignage(4). La police est complice.

Dans les 10 dernières années, le nombre de personnes condamnées pour viol a chuté de 40 %, alors que le nombre de plaintes augmente(5). La justice est complice.

(1) http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-de-genre/reperes-statistiques-79/

(2) https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/harcelement-sexuel-pourquoi-plus-de-90-des-plaintes-sont-classees-sans-suite-7790557354

(3) https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20130630.RUE7381/pourquoi-l-immense-majorite-des-viols-ne-terminent-jamais-aux-assises.html

(4) http://www.crepegeorgette.com/2014/10/13/fausses-allegations-viol/

(5) https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/les-condamnations-pour-viol-en-chute-de-40-en-10-ans_2035241.html

3 Replies to “Témoignage sur la culture du viol”

  1. En lien avec votre article sur le consentement et en écho avec l’actualité irlandaise de 2018 (#thisisnotconsent). Plasticienne, des femmes indignées par l’acquittement d’un violeur, ont accepté de prêter un string, ce petit bout de tissu, symbole de culpabilité supposé, que je dessine épinglé ?
    A découvrir la série en cours de réalisation : https://1011-art.blogspot.com/p/thisisnotconsent.html

    Cette série a été présentée à des lycéens, quand l’art contemporain ouvre le débat…

  2. j’ai été violée moi aussi l’année dernière par mon copin j’avais toute confiance en lui il avait 17 ans et moi 14 ans je suis tombée enceinte je lui ai dit que je ne pouvais pas l’assumée j’ai pu avortée grace a ma prof de danse et je ne lui ai pas dit qd il s’en ai apperçut il m’a battu pendant 2 mois en m’insultant d’assasin de tueuse d’enfant…
    aujourd’hui après de nombreuses sèance chez le psy (a cause des *TS*) et l’ortophoniste car je ne pouvais plus parler (par pétrifaction) non plus j’ai commencer a me reconstruire j’ai redoubler je suis en troisieme a 15ans alors que j’ai toujours été bonne élève mes profs n’ ete pas tres inquiete pour moi j’ai essayé d’en parler avec ma profs de PrepaDNB
    je te repond pour te dire que tu a eu de la chance et beaucoup de courage d’en parler et de perseverer car moi mes parents ne son pas au courant de tout ça et je ne leur dirai jamais
    bonne chance a toi et bonne continuation : ) surtout garde le sourire
    *TENTATIVE DE SUCIDE*
    Filledelenavarre

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